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Conditions de détention au Bénin : L’article 18 de la Constitution, foulé aux pieds

Depuis quelques heures, les réseaux sociaux et les médias sont inondés par l’histoire tragique de Latif Radji, dont la détention et le décès reflètent une réalité préoccupante dans les prisons béninoises. Arrêté le 15 janvier 2020, Radji était en attente de procès pour sa participation présumée aux violences électorales de 2019 à Savè, inscrites dans le dossier « Faléti ». En dépit de la dégradation de son état de santé, il n’a pas reçu les soins médicaux nécessaires, une situation pourtant dénoncée par le journaliste et lanceur d’alertes Comlan Hugues Sossoukpè.

Dans un pénitencier, être traité avec respect n’est pas un privilège mais un droit. Le respect de la dignité de l’Homme implique que même en situation de privation de liberté, les détenus bénéficient d’un traitement adéquat ne présentant pas un caractère avilissant. En détention provisoire sans procès depuis environ 5 ans à la prison civile de Missérété, un détenu a rendu l’âme. Le décès de Latif Radji survenu au CNHU où il a été transféré trop tard, soulève de graves questions sur le respect des droits humains de personnes en détention au Bénin.

La Constitution du Bénin est sans équivoque en son Article 18 : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Nul n’a le droit d’empêcher un détenu ou un prévenu de se faire examiner par un médecin de son choix… » Pourtant, ce principe fondamental semble régulièrement bafoué dans le système carcéral béninois, comme le démontre tragiquement le cas de Latif Radji. Ceci reste  valable aussi bien pour les adeptes de «La prison n’est pas un hôtel à 5 étoiles», les privilégiés de la République ou non, et au béninois lambda. Traiter autrement un être humain, de surcroit, un citoyen béninois, qui plus est, en détention dans une prison au point de laisser sa  santé se détériorer jusqu’à ce que mort s’en suive est contraire à toutes les normes et revient ni plus ni moins, à fouler aux pieds, les droits humains.

Le cas Latif RADJI

Contexte : Latif Radji, 38 ans, natif de Kaboua et étudiant au moment de son arrestation, est décédé après près de cinq années de détention provisoire sans procès à la prison civile de Missérété. Son décès, survenu au CNHU où il a été transféré trop tard, soulève des questions graves sur le respect des droits humains en détention au Bénin.

Détention et maladie : Depuis quelques heures, les réseaux sociaux et les médias sont inondés par l’histoire tragique de Latif Radji, dont la détention et le décès reflètent une réalité préoccupante dans les prisons béninoises. Arrêté le 15 janvier 2020, Radji était en attente de procès pour sa articipation présumée aux violences électorales de 2019 à Savè, inscrites dans le dossier « Faléti ». En dépit de la dégradation de son état de santé, il n’a pas reçu les soins médicaux nécessaires, une situation dénoncée par le journaliste et lanceur d’alertes Comlan Hugues Sossoukpè.

Refus de soins : Dans un appel du 18 juin 2024, Sossoukpè avait alerté sur l’urgence de la situation : « Latif Radji est en détention provisoire à la prison civile de Missérété depuis le 15 janvier 2020. Bientôt cinq années que cet homme de 38 ans né à Kaboua, étudiant au moment de son arrestation, croupit dans une cellule d’Akpo-Missérété en attendant son procès. D’après les informations qui nous ont été communiquées, l’homme serait actuellement très malade et aurait demandé à aller se soigner au CNHU. Mais l’administration pénitentiaire se serait opposée à toute hospitalisation, arguant du fait qu’il « n’est pas encore jugé »»

Conséquences tragiques : L’administration pénitentiaire aurait refusé son hospitalisation sous prétexte qu’il n’avait pas encore été jugé, une décision qui a probablement contribué à l’aggravation fatale de son état de santé. «Il va très mal depuis ce matin, et on refuse de l’hospitaliser au CNHU sous prétexte qu’il n’a pas encore été jugé. C’est quelqu’un dont le pronostic vital est très engagé. Il est dans un état critique», rapportait une source proche de Radji.

Problème systémique des conditions de détention

Surpopulation carcérale : Ce cas n’est malheureusement pas isolé. Il reflète un problème systémique dans les prisons du Bénin, où les droits des détenus sont souvent négligés. Les autorités pénitentiaires et judiciaires doivent impérativement revoir leurs pratiques pour assurer le respect des droits humains fondamentaux. Le régisseur de la prison civile de Missérété, le procureur spécial près la CRIET et le ministre de la Justice sont particulièrement interpellés pour mettre un terme à ces abus.

Il apparait clairement donc que la surpopulation carcérale au Bénin est principalement due à la détention provisoire prolongée, qui viole les droits des détenus. La quasi-totalité des détenus provisoires ignorent la date de leur jugement, et beaucoup dénoncent la lenteur des procédures et les prorogations régulières de leur détention. Une réforme urgente du système judiciaire et pénitentiaire est nécessaire pour garantir le respect des droits humains et améliorer les conditions de détention au Bénin.

Rapport PNUAD-Bénin 2019-2023

Le Rapport Final d’évaluation du PNUAD-BENIN – Cycle 2019-2023 est sans ambages : en son point 16, il est écrit ceci : « Bien que le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire béninois reste affirmé, on note une justice faiblement efficace et peu transparente avec un accès restreint aux populations rurales et à certains groupes démographiques, tels que les pauvres, les femmes, les jeunes et les personnes handicapées. Malgré les efforts fournis en matière de rapprochement de la justice de la population, les mauvaises conditions de détention dans les prisons civiles, les longues durées de détentions, la violation des droits des enfants persistent tel que relevé par le rapport d’Examen Périodique Universel (EPU) sur les Droits de l’homme. »

La surpopulation carcérale au bénin : une situation alarmante

La surpopulation carcérale demeure un problème critique au Bénin, principalement due au fort taux de personnes en détention provisoire. Cette situation soulève de graves questions quant au respect des droits humains et à l’efficacité du système judiciaire béninois.

La Détention provisoire : Une violation de la présomption d’innocence

La détention provisoire, censée être une mesure exceptionnelle, est devenue la norme dans les prisons béninoises. Les détenus provisoires, qui bénéficient de la présomption d’innocence, sont contraints de vivre dans les mêmes conditions que les condamnés, violant ainsi leurs droits fondamentaux.

Les prisons béninoises souffrent de surpopulation, ce qui aggrave les conditions de vie des détenus. Le manque de ressources et d’infrastructures adéquates contribue à la détérioration de la santé physique et mentale des prisonniers. L’accès aux soins médicaux est limité, et les traitements souvent inhumains. Les détenus souffrent de malnutrition, d’insalubrité, et de manque d’hygiène. Les rapports indiquent également des cas fréquents de violences entre détenus, exacerbées par le manque de surveillance et de sécurité adéquates.

Exemples de surpopulation, selon un rapport de l’ONG Changement Social Bénin :

Situation à Porto-Novo

À la prison de Porto-Novo, 83% des personnes interrogées sont en détention provisoire, avec des durées variant de moins d’un mois à 132 mois. Parmi elles, 29% ont passé entre 36 et 132 mois en détention provisoire, mettant en lumière une lenteur extrême des procédures judiciaires.

Conditions à Akpro-Missérété

À la maison carcérale d’Akpro-Missérété, les périodes de détention provisoire varient de deux semaines à 41 mois. Les détenus dénoncent la lenteur des procédures et les frais alloués aux juges d’instruction, responsables de l’allongement de leur détention.

Détention à Lokossa

Dans la prison de Lokossa, 72% des détenus sont en détention provisoire, avec des périodes allant de moins d’un mois à 96 mois. Parmi eux, 11% ont passé plus de 30 mois en détention provisoire, soulignant une fois de plus les dysfonctionnements judiciaires.

Cas de Cotonou

À Cotonou, 65% des détenus sont en détention provisoire, avec des durées variant de 1 à 144 mois. La plupart d’entre eux ignorent la date de leur jugement, et beaucoup se plaignent de la lenteur du système judiciaire.

Détention à Calavi

À Calavi, la détention provisoire varie entre deux semaines et 60 mois. La situation y est également critique, avec de nombreux détenus en attente de jugement pendant des périodes prolongées.

Situation à Parakou

À Parakou, 58% des détenus sont en détention provisoire, avec des durées allant de moins d’un mois à 72 mois. La lenteur des procédures judiciaires est également dénoncée par les détenus.

Conditions à Kandi

À Kandi, 43% des détenus sont en détention provisoire, avec des périodes variant de moins d’un mois à 162 mois. Cette prison illustre également la crise de la détention provisoire au Bénin.

Lenteurs administratives et détentions provisoires prolongées

Détention provisoire et prorogations : Le système judiciaire béninois est marqué par une lenteur administrative qui prolonge indûment les détentions provisoires. En 2022, les détentions provisoires représentaient environ 75% de la population carcérale. Les détenus peuvent passer des années en prison sans être jugés, comme ce fut le cas pour Latif Radji. Cette situation viole non seulement leurs droits à un procès équitable mais contribue également à la surpopulation carcérale.

Manque de réformes et de volonté politique

Nécessité de réformes : Les autorités béninoises ont souvent été critiquées pour leur manque de volonté politique à réformer le système carcéral. Les recommandations des organisations de défense des droits humains et des instances internationales restent souvent lettre morte. Il est impératif que le gouvernement prenne des mesures concrètes pour améliorer les conditions de détention et respecter les droits fondamentaux des détenus.

La situation de Latif Radji est une illustration tragique de la manière dont les droits des détenus peuvent être violés au Bénin. La Constitution est claire, mais encore faut-il que ses principes soient respectés dans les faits. Les autorités doivent prendre des mesures urgentes pour garantir que de telles tragédies ne se reproduisent plus.

Rapport de l’ONG Changement Social Bénin

Objectifs du rapport : Il importe également de se pencher sur le travail de grand intérêt réalisé par l’Ong Changement Social Bénin avec l’appui de OSIWA. Au terme de sa mission de monitoring du milieu carcéral, l’Ong Changement Social Bénin livré un rapport pour rendre compte de la réalité carcérale au Bénin. Ce rapport vise à croiser les conditions de détention au Bénin avec les normes et standards internationaux, notamment l’ensemble des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus pour en apprécier la conformité.

État des lieux des établissements pénitentiaires : La République du Bénin compte à la date de ce jour onze (11) établissements pénitentiaires civils situés à Cotonou, Akpro-Missérété, Abomey, Porto-Novo, Parakou, Ouidah, Lokossa, Abomey-Calavi, Natitingou, Kandi et Savalou.

Droit à des soins de santé de bonne qualité

Principes constitutionnels et internationaux : Chaque personne privée de liberté a le droit de bénéficier sans discrimination aucune de soins de santé de bonne qualité et adaptés à sa situation médicale. L’article 8 de la Constitution du 11 décembre 1990 responsabilise l’État quant à l’accès à la santé à tous sans discrimination aucune.

Obligations de l’État : Les principes de base tirés des règles minima sur le traitement des détenus déterminent les obligations de l’État en la matière. Ces principes incluent :

– Le droit à être traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. – L’obligation des États à veiller à ce que toute personne soumise à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement soit traitée avec humanité.

Par Jos Perzo ANAGO

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