Arnaud Éric Aguénounon, prêtre et philosophe béninois, explore dans « Le pouvoir du déni » les dérives actuelles du pouvoir au Bénin. Son œuvre met en lumière un système qui, sous couvert de développement, sacrifie la liberté d’expression et les droits fondamentaux. Un ouvrage percutant qui éclaire des dangers d’une gouvernance autoritaire.
Le prêtre et philosophe béninois Arnaud Éric Aguénounon n’est pas étranger aux analyses critiques de la société. Dans son tout dernier livre, « Le pouvoir du déni, Chronique d’une démocrature assumée », il dissèque sans complaisance les dérives de la gouvernance actuelle au Bénin. Ce livre, qui s’étend sur 129 pages, n’est pas seulement une réflexion sur les dernières années du régime béninois, mais une critique acerbe de ce qu’il appelle une « démocrature », un système politique oscillant entre démocratie de façade et dictature assumée. Le titre même, « Le pouvoir du déni », évoque un refus systématique de la vérité politique et sociale, un aveuglement volontaire face aux réalités qui affectent profondément la société.
Arnaud Éric Aguénounon, déjà auteur de plusieurs ouvrages tels que « La frénésie du messianisme » et « La soif du pouvoir », revient avec une analyse lucide qui cible à la fois les élites politiques et la société civile. À travers une écriture incisive et argumentée, il dévoile comment les ambitions économiques et le goût du pouvoir ont érodé les valeurs fondamentales de la démocratie béninoise, à commencer par la protection des Droits de l’Homme.
Le pouvoir du déni : un concept corrosif
Dès les premières pages, Aguénounon pose le décor. Pour lui, le rôle primordial de l’État est de garantir la protection et la jouissance des Droits de l’Homme, des droits naturels et inaliénables. Il avance que tout développement qui fait abstraction du respect de ces droits n’est en réalité qu’une croissance sans fondement. Il précise, dans une métaphore habile : « Le développement qui ignore l’Homme est comme une maison construite sur du sable : elle finit par s’effondrer ».
Ce déni des droits fondamentaux, explique-t-il, constitue le cœur de la « démocrature » actuelle au Bénin. Le régime en place prétend œuvrer pour le développement économique, mais selon Aguénounon, ce développement ne profite pas aux véritables acteurs de la société : l’Homme, qui devrait être à la fois sujet et bénéficiaire du progrès. « L’homme est ici dévalorisé, réduit à l’état d’objet manipulé par un système enivré par l’illusion de la puissance », déplore-t-il.
Une gouvernance marquée par l’arbitraire et la pensée unique
L’une des critiques les plus tranchantes du livre est dirigée contre la montée de l’arbitraire et de la pensée unique. Aguénounon décrit une société où la pluralité d’opinions est progressivement étouffée, où toute contestation est perçue comme une menace à l’ordre établi. Il souligne : « Au Bénin, actuellement et plus qu’hier, on cultive à loisir des ivraies de l’iniquité, de la pensée unique, de l’arbitraire, et de la dictature ». La diversité d’opinions, qui constitue le cœur d’une démocratie dynamique, est remplacée par un monologue du pouvoir.
Le philosophe emploie ici une métaphore agricole puissante : les « ivraies de l’iniquité » qui s’implantent dans le terreau béninois symbolisent cette croissance pernicieuse de l’injustice. Sous couvert de progrès, ce système cultive l’exclusion et l’oppression, créant ainsi un climat où règne la peur et l’intimidation.
Paix instrumentalisée : une fausse promesse de stabilité
Le concept de paix, si cher aux sociétés africaines, est également au centre de la réflexion de Aguénounon. Pour lui, la paix telle qu’elle est prônée aujourd’hui par les autorités béninoises n’est qu’une « instrumentalisation » du concept. Il dénonce un paradoxe : « On cultive à loisir l’arbitraire et l’on prétend ensuite appeler à la paix ». Cette approche relève, selon lui, d’une manipulation flagrante de la population. La paix ne peut exister dans un climat d’injustice et de répression ; elle devient alors une paix de façade, un leurre destiné à maintenir l’illusion de la stabilité.
Citant le philosophe français Jean-Paul Sartre, Aguénounon rappelle que « la liberté est le fondement de la paix ». Or, dans une société où les libertés individuelles sont compromises, où les citoyens sont réduits au silence, la paix ne peut être durable ni authentique.
Le règne de l’argent et l’ivresse du pouvoir
Pour Aguénounon, un autre facteur crucial dans cette dérive vers la démocrature est l’obsession du pouvoir et de la richesse. Il décrit comment le pouvoir en place semble dominé par l’attrait de l’argent, créant un fossé toujours plus grand entre les élites et la population. « Les compromissions de toutes sortes, qu’elles s’expliquent par l’ivresse du pouvoir ou le règne de l’argent, ne sont pas productrices de paix », assène-t-il. Aguénounon y voit une trahison des principes mêmes de la gouvernance, où l’intérêt général est sacrifié au profit de l’enrichissement personnel.
Ce constat rappelle les propos de l’écrivain Chinua Achebe, qui affirmait que « l’argent et le pouvoir sont les deux piliers d’une dictature subtile ». Loin de permettre un épanouissement collectif, cette concentration de richesse et de pouvoir devient un instrument d’asservissement.
Un appel à la conscience collective
À travers cet ouvrage, Aguénounon lance un véritable appel à la conscience collective du peuple béninois. Il ne s’agit pas seulement d’une critique du régime en place, mais d’une réflexion profonde sur l’avenir démocratique du Bénin. L’auteur incite les citoyens à ne pas se laisser abattre par le sentiment d’impuissance qui peut découler de la répression. « Il est encore temps de réagir », clame-t-il. Ce combat pour une véritable démocratie ne pourra réussir qu’avec l’implication active de tous.
Une œuvre profondément enracinée dans la doctrine sociale de l’Église
Aguénounon, en tant que prêtre et philosophe, est fortement influencé par la doctrine sociale de l’Église catholique. Il rappelle que cette doctrine place la dignité humaine au cœur de toute action politique et économique. Pour lui, le développement ne peut être considéré comme tel que s’il respecte les droits fondamentaux de l’homme. Cette vision, profondément ancrée dans l’enseignement de l’Église, guide son analyse de la situation actuelle au Bénin.
Dans un passage empreint de gravité, il souligne : « L’Église ne peut rester silencieuse face aux injustices flagrantes ». Cette prise de position rappelle l’importance du rôle de l’Église dans la défense des opprimés et des laissés-pour-compte.
Un appel à une refonte sociopolitique
« Le pouvoir du déni, Chronique d’une démocrature assumée » est plus qu’un simple ouvrage de critique politique. C’est un appel vibrant à repenser le système démocratique au Bénin, à revenir à des principes fondamentaux de justice, de liberté et de respect des droits de l’homme. À travers ses mots, Aguénounon espère réveiller une conscience collective et inciter à l’action pour éviter que le Bénin ne sombre davantage dans une dictature subtile, masquée par les apparences de la démocratie.
Cet ouvrage est donc non seulement une critique du présent, mais aussi une vision pour l’avenir, un avenir où le peuple béninois pourra enfin jouir des fruits de la liberté et de la démocratie véritable.