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Bénin/Construire une nation sur l’oubli, le pardon et l’impunité: une illusion démocratique ?

Dans une opinion dont il a partagé le contenu avec « La Dépêche Afric’Info »,  Tochehou Sosthène ADEOSSI, enseignant et expert en développement, questionne la capacité du Bénin à se construire sur les piliers de l’oubli, du pardon et de l’impunité. Il propose une réflexion critique sur la gestion des injustices historiques, du Dahomey au Bénin d’aujourd’hui, en soulignant les conséquences néfastes de l’amnésie collective et de l’absence de justice. Selon lui, l’oubli a parfois permis de tourner la page sur des périodes sombres, mais a aussi occulté des crimes graves, laissant des plaies ouvertes dans la mémoire collective. Il interroge ainsi la durabilité d’une nation qui se refuse à affronter ses propres démons. Analyse et commentaire de notre rédaction.

Un pays hanté par son passé

NDLR/Dahomey hier, Bénin aujourd’hui. Ces deux entités partagent une histoire complexe et tumultueuse, marquée par des régimes autoritaires, des coups d’État, et des violations des droits humains. Les plaies du passé semblent béantes et mal cicatrisées, ravivant des questions douloureuses : faut-il pardonner sans juger ? Peut-on avancer en effaçant les pages sombres de l’histoire ? Le pardon et l’oubli peuvent-ils, à eux seuls, bâtir une nation prospère et démocratique ?

I. L’Oubli : un baume ou un poison ?

L’oubli, tel un baume apaisant, a permis au Bénin de tourner la page de régimes tyranniques sans sombrer dans le chaos. La Conférence Nationale des Forces Vives de 1990 symbolise ce renouveau démocratique, offrant au pays une chance de reconstruire sur des bases pacifiques. Mais cet oubli, loin d’être total, a laissé des cicatrices profondes.

« Comme un rideau de fumée dissimulant les ruines encore fumantes du passé, l’oubli a jeté un voile pudique sur les crimes d’hier, sans toutefois les effacer du cœur des victimes. »

Des lieux tristement célèbres comme le Petit Palais, Dodja ou encore Ségbana restent gravés dans la mémoire collective, témoignant des tortures et exactions subies. Pourtant, au lieu d’en tirer des leçons, l’histoire semble se répéter, les abus de pouvoir et l’autoritarisme refaisant surface.

Citation : « Nous avons vaincu la fatalité » proclamait-on en 1990. Mais aujourd’hui, les démons d’hier rôdent encore, menaçant de replonger le pays dans ses anciens travers. L’oubli a permis de construire une paix fragile, mais à quel prix ?

II. Le Pardon : une réconciliation au rabais ?

Le pardon, souvent invoqué pour apaiser les tensions, est un double-edged sword. D’un côté, il permet aux sociétés de se réconcilier et d’éviter la spirale de la vengeance. Mais au Bénin, ce pardon semble être une excuse commode pour éviter d’affronter les responsabilités.

« Le pardon, ce couteau à double tranchant, tranche les chaînes du ressentiment tout en coupant court à la justice. »

Les victimes des régimes passés, de Pamphile Hessou à Pierre-Urbain Dangnivo, attendent toujours que justice soit rendue. Les lois d’amnistie et les grâces présidentielles, souvent utilisées comme panacée, ne font qu’amplifier le sentiment d’injustice. Elles protègent les bourreaux tout en laissant les victimes et leurs familles dans l’oubli.

Exemple poignant : Le cas de Michel Aïkpé, assassiné en 1972, reste une plaie béante. Sa mort, déguisée en crime passionnel, n’a jamais été élucidée. Plus de cinquante ans plus tard, sa famille porte encore le fardeau de cette tragédie, sans que le pays ne reconnaisse officiellement sa souffrance.

III. L’Impératif de la Justice : l’impunité comme héritage

Si l’oubli et le pardon sont des éléments de réconciliation, l’impunité, quant à elle, est un poison insidieux qui gangrène la société béninoise. Les tentatives de rendre justice se sont souvent soldées par des échecs cuisants. Les commissions d’enquête, telles que celle dirigée par Adrien Ahanhanzo Glèlè ou encore la cellule de moralisation d’Anne Adjaï Cica, n’ont abouti qu’à des conclusions sans suite.

« L’impunité, cette gangrène silencieuse, ronge les fondements mêmes de l’État de droit, transformant chaque acte de justice en un mirage illusoire. »

Les scandales financiers, les assassinats politiques, et les disparitions forcées se succèdent, sans que les coupables soient réellement inquiétés. Le verdict de non-lieu est devenu une litanie judiciaire, un refrain qui, loin de rassurer, glace le sang des citoyens.

Exemple : Le scandale ICC-Services, qui a ruiné des milliers de Béninois, est l’illustration parfaite de cette justice dévoyée. Les victimes, spoliées de leurs économies, attendent toujours réparation, tandis que les responsables coulent des jours tranquilles.

IV. Le Bénin : vers une nouvelle conscience politique ?

Malgré ce sombre tableau, des voix s’élèvent pour exiger une véritable justice et une mémoire collective plus honnête. La société civile, les intellectuels, et même certains hommes politiques plaident pour une révision de l’histoire, pour que les vérités occultées soient enfin dévoilées. Car, comme le disait Aimé Césaire :

« Une civilisation qui ruse avec ses principes

est une civilisation moribonde.»

« Les cris de ces voix dissidentes résonnent comme le glas d’une conscience nouvelle, prête à exorciser les démons du passé. »

La démocratisation véritable passe par une prise de conscience collective. Il est impératif de reconnaître les torts, de rendre justice, et de pardonner, non pas pour absoudre les bourreaux, mais pour apaiser les cœurs et les âmes meurtries.

Un chemin de croix vers la vraie démocratie

Le Bénin se trouve à un carrefour décisif. Pour construire une nation forte et juste, l’oubli et le pardon doivent être accompagnés de justice. Il est temps de sortir de ce cercle vicieux d’impunité et de compromis malsains. Seule une véritable reconnaissance des fautes, assortie d’une justice rigoureuse, permettra au pays de tourner la page, non pas en effaçant le passé, mais en l’intégrant pleinement dans sa quête de démocratie.

« Il faut que le Bénin, tel un phénix, renaisse de ses cendres, en ayant le courage de regarder en face les spectres de son histoire pour forger un avenir lumineux. »

Lire l’Opinion de ici:https: //www.ladepeche.info/2024/09/25/brouillon-auto/

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