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Opinion/Peut-on construire un pays sur l’oubli, le pardon et l’impunité ? Le cas de Dahomey d’hier et le Bénin d’aujourd’hui

Depuis l’indépendance du Dahomey jusqu’au Bénin moderne, le pays semble osciller entre oubli, pardon et impunité. Ces concepts, pourtant essentiels à la réconciliation nationale, se révèlent être des pièges lorsqu’ils deviennent des boucliers contre la justice. Alors que les fantômes du passé continuent de hanter le présent, il est légitime de se demander : peut-on construire une démocratie durable sur de telles bases ? (Une opinion de Tochehou Sosthène ADEOSSI)

Construire un pays ou une nation sur l’oubli, le pardon et l’impunité est une question complexe qui touche aux fondements éthiques, historiques et sociopolitiques de la société. Voici quelques réflexions sur chacun de ces concepts concernant notre pays le Dahomey d’hier et le Bénin d’aujourd’hui.

L’oubli

Avantages : L’oubli peut permettre à une société de tourner la page sur des périodes sombres et de se concentrer sur l’avenir. Cela peut réduire les ressentiments et les conflits. Pour ce qui est de notre pays, l’oubli nous a permis de tourner pacifiquement la page sombre du régime GMR/ PRPB de 1972 à 1989 à travers notre conférence nationale des forces vives de 19 au 28 février 1990, sans tirer les vraies conséquences malgré les nombreuses résolutions (plus jamais ça… encore dans notre pays, nous avons vaincu la fatalité…).Le slogan renouveau démocratique était dans tous les discours de nos acteurs politiques. Mais dans la réalité et dans les pratiques c’était un marché de dupes comme le disent souvent certains Béninois sincères et patriotes.

Inconvénients : l’oubli peut également entraîner une altération de la mémoire collective, ce qui peut empêcher une société de tirer les leçons de son passé et de prévenir la répétition des erreurs historiques. De plus, il peut être perçu comme une forme de déni ou de réécriture de l’histoire. C’est ce qui se passe de nos jours depuis une vingtaine d’années dans notre pays. Une sorte de retour des démons d’hier, la personnalisation du pouvoir, la pensée unique, l’absence du débat contradictoire, des décisions arbitraires des gouvernants. Que l’analyse porte sur période révolutionnaire ou qu’elle porte sur la période antérieure et aujourd’hui, le constat est le même : la torture, toute sorte de traitements cruels inhumains(les récents images des prisonniers malades menottés dans les hôpitaux pour se soigner qui circulent sur des réseaux sociaux).  Et pourtant nous avons déjà connu dans notre pays sous la période révolutionnaire des situations dégradantes infligées à des centaines de personnes, la détention illégale dans des endroits devenus tristement célèbres dans nos mémoires :(Petit Palais, PLM, Dodja, Ségbana)[1]; des violations répétées des droits de l’homme et des libertés publiques, du domicile et des libertés religieuses, les expropriations arbitraires, l’exil volontaire ou forcé, les assassinats, les enlèvements, les répressions sanglantes de manifestations s’étalèrent sur ces périodes. Le livre blanc sur les tortures au Bénin par exemple élaboré par l’Association des anciens détenus politiques (Assandep), dresse une liste, images à l’appui de la cruauté et la bestialité des sévices corporels. Ayant échoué à faire du Bénin « un pays où il fait bon vivre», «le GMR et le gouvernement du PRPB avaient choisi de museler et de bâillonner le peuple abusé et meurtri.»[2]

Plus de 30 ans ce sont écoulés depuis la Conférence des forces vives de la nation qui a mis fin à ce régime. Cependant l’oubli ou plutôt l’impunité, le pardon ont permis à notre pays de poursuivre presque sur la même voie. Ainsi, de nombreuses situations d’injustice restent à corriger de nos jours. Voici des exemples qui illustrent cette altération de la mémoire collective et l’oubli le déni qui nous oblige à revivre les mêmes événements tristes dans notre pays jusqu’aujourd’hui encore.

Tochehou Sosthène ADEOSSI

Le scandale de l’affaire Kovacs vers les années 1970, non élucidée jusqu’à nos jours, ses répercussions politiques, ses ramifications obscures dont le coup d’État de Mathieu Kérékou en octobre 1972 suivi de l’assassinat de son ministre de l’Intérieur de cette époque le capitaine Michel Aïkpé déguisé en un crime passionnel ou politique demeure un trou noir dans l’histoire politique de Bénin. Un crime reste un crime. Une veuve et des enfants ont été traumatisé à tout jamais. Plus de 50 ans sont passés depuis que cet homme a été abattu comme un chien. La gouvernance de notre pays, les coups d’État se succédèrent sans se rassembler du premier en 1963 du Colonel Christophe Soglo, jusqu’à celui de 26 octobre 1972 dirigé par Mathieu Kérékou, marqué au fer rouge de la révolution qui laissa un vaste champ de faits et méfaits.

Le cas de la disparition de Pamphile Hessou intervenue le 20 septembre 1992 en est une autre illustration. Il disparut sans laisser de traces jusqu’à ce jour. La justice n’est pas passée également. L’existence du sous-préfet de Boukoumbé déplaisait en quelque chose à un État voisin. Il disparut. Sans traces jusqu’à ce jour. La justice n’est pas passée. Dix-huit ans plus tard, le 17 août 2010, disparaît Pierre-Urbain Dangnivo. Selon toute vraisemblance, l’existence de ce cadre du ministère de l’Économie et des Finances déplaisait en quelque chose à l’État béninois. Il disparut. La justice s’est engluée de son plein gré dans un marécage de micmacs, d’imbroglios et d’incohérences. Aux dernières nouvelles, elle n’est pas (encore) passée. La mort tragique du magistrat Dossou-Yovo Clément, ex-juge d’instruction au Tribunal de première instance de Kandi, drame survenu le 16 décembre 2002 à 06 heures’’. Ce soir d’élection communale qu’il a coordonnée, le juge a été découvert baignant dans sonpropre sang, la tête presque tranchée. La justice passe et le verdict tombe : suicide par auto-égorgement. Un non-lieu ! Plus dramatique encore en 2004, Le Président de la Cour d’Appel de Parakou, le reste du corps du Magistrat Séverin Coovi découvert empalé, charcuté, carbonisé, ses cendres entassées dans sa voiture à laquelle on a mis le feu. C’était en 2004. La justice est passée, mais ce fut pour blanchir le Parrain présumé par un non-lieu. Mais les exécutants en revanche ont pris le maximum des peines. Pour le commanditaire, non-lieu.

Nous pouvons également citer les cas de la veuve Prudence Amoussou, Fidèle Combetti, Théophile Djaho…tués par l’armée et la police dite républicaine. Dame Amoussou avait reçu des balles réelles dans le dos le 1er mai 2019 à Cotonou. Fidèle Combetti a été torturé puis assassiné. Il y a aussi les tentatives d’assasinat des opposants Léonce Houngbadji en 2018, du candidat Ganiou Soglo. La séquestration de l’ancien président Boni Yayi et les violences policières contre les anciens présidents Nicéphore Soglo et Boni Yayi, en plein marché de Dantokpa à Cotonou en 2019 en marge de la protestation contre l’exclusion de l’opposition de l’élection législative. L’ancienne doyenne d’âge de l’Assemblée nationale feue Rosine Vieyra-Soglo, l’ex Honorable Madame Affo Djobo, une exilée politique refugiée au Canada aujourd’hui faisaient également partie des personnalités réprimées par la police le jour du vendredi saint de Pâques de 2019.

Le pardon

Avantages : Le pardon peut favoriser la réconciliation et la cohésion sociale. Il peut aider les victimes et les auteurs à se libérer du poids du passé et à avancer ensemble vers un avenir plus harmonieux. Qu’en est-il, dans le cas de notre pays. Quand il s’agit de pardon : une question se pose, qui pardonne? Les bourreaux ou les victimes? C’est d’abord à la personne qui a été blessée, subit l’injustice de pardonner. Le pardon ne signifie pas nécessairement oublier ou excuser l’acte, mais plutôt choisir de ne pas laisser cet acte contrôler sa vie en tant que victime.

Inconvénients : Le pardon sans justice peut être perçu comme une validation des actes répréhensibles. Il est souvent nécessaire qu’il y ait une reconnaissance des torts et une certaine forme de réparation pour que le pardon soit véritablement constructif. Ces nombreux crimes de sangs depuis l’existence de notre pays en passant par la Conférence nationale de rendre quelque forme de justice, ni ne proposa de réparer ce qui pourrait l’être. Si épais que soient les voiles pudiquement jetés sur ces drames, ils pèsent comme une chape de plomb sur la conscience collective de notre peuple et sa classe dirigeante en particulier. Nos gouvernants ce sont toujours refugiés derrières des lois d’amnistie et des grâces présidentielles croyant avoir tourné la page et protégé ainsi les bourreaux contre la justice pour les victimes. Toute société fondée sur les compromissions, les injustices et les mensonges historiques finit toujours dans la décadence.

La prise de conscience des aventures ambigües, des pièges, des compromissions sans fin dans lesquelles sont enchevêtrées notre pays doit désormais déterminer notre âme à combattre l’impunité durable.

L’impunité

Avantages : En théorie, l’impunité pourrait réduire les tensions à court terme en évitant des poursuites judiciaires qui pourraient raviver les conflits.

Inconvénients : En pratique, l’impunité est généralement vue comme néfaste car elle peut encourager la répétition des crimes et des abus. Elle peut également saper la confiance dans les institutions et le système juridique, et créer de grandes frustrations d’injustice chez les victimes et la population en général surtout lorsque cela se reproduit fréquemment.

La quasi-totalité des acteurs politiques béninois ne s’engage pas en politique parce qu’il a une conviction ou est convaincu de servir loyalement son pays ; il s’engage plu- tôt parce qu’il cherche une place au soleil mais surtout parce qu’il cherche à se soustraire à une sanction collective. Soif de paraître ou quête d’impunité ? Assurément, mais pourquoi donc ? Parce que la pratique aujourd’hui au Bénin est que la faute passe pour le principe fondateur de l’engagement politique, que le Paraître conduit à l’Avoir et que l’Avoir pour l’Avoir conduit immanquablement à la faute, ce que nous explique abondamment Madame Célestine Zanou dans son essai «Convictions »[3] Aussi l’impunité est-elle vectorielle et sa quête génératrice de la faute. La règle générale c’est en même temps le paradoxe que quand on est sans faute ou plus ou moins sans faute, on est d’office déclaré inapte à l’action politique, qui pourtant est une action noble.

Nous nous rappelons les nombreuses commissions d’enquête mises en place de 1990 à nos jours telles que la commission René Ahouansou, la Commission Amoussou Kpakpa, pour faire rendre gorge (selon une expression chère au président Nicephore Soglo) à certains membres corrompus ou soupçonnés de corruption dans le régime du Parti de la Révolution Populaire du Bénin (PRPB). Il y a également à la commission d’enquête dirigée par Adrien Ahanhanzo Glèlè. Elle était chargée de faire la lumière sur les 700 milliards que les États- Unis, le Canada, la Belgique, le Japon et la Suisse ont octroyés au Bénin sous l’ère de la gouvernance de Nicéphore Dieudonné Soglo comme prime à la démocratie. Ensuite il y a eu l’activisme très médiatique et les cris de désespoir de la cellule de moralisation du feue d’Anne Adjaï Cica sous les deux mandats de Kérékou II qui n’ont presque rien donné.

 On se rappelle les marches contre la corruption initiées par Boni Yayi et qui s’est soldé là aussi à un échec total. Cela n’a pas empêché les nombreux scandales sous son règne entre autres : les machines agricoles, le siège du Parlement, les villas Cen/SAD. Le non-lieu rendu le 16 mai 2017 dans les ténèbres de PPEA2[4] a troublé jusqu’aux consciences endurcies. Pour couronner le tout, le régime Yayi s’est vu sérieusement secouer dans le scandale ICC- Services à l’origine de la spoliation des plusieurs milliers de citoyens portant sur des centaines de milliards sans que les victimes ne soient dédommagés à ce jour. Au vu et au su de l’État, les auteurs de cette vaste escroquerie ont siphonné les économies des Béninois et Béninoises à hauteur de plus de 148 milliards f CFA liquide selon les estimations de la Banque Mondiale. Effondrement. Certaines de leurs victimes ont trépassé par AVC impromptus. La justice s’est enlisée pour remettre les mis en cause en liberté sans jamais se pencher sur la réparation du dommage causé aux familles.

Construire un pays ou une nation stable et juste est généralement perçu comme nécessitant un équilibre entre la reconnaissance des torts passés, la justice, et la réconciliation. L’oubli peut être utile, mais il doit être sélectif et ne pas masquer les vérités importantes. Le pardon est précieux, mais il doit être accompagné de justice pour être véritablement efficace. L’impunité, en revanche, est rarement constructive à long terme, car elle mine les bases mêmes de la justice et de la confiance sociale.

En somme, un pays ou une nation prospère est souvent celui qui parvient à reconnaître son passé, à rendre justice, et à promouvoir la réconciliation et le pardon de manière équilibrée et respectueuse de toutes les parties impliquées. Nous devons réfléchir tous sur ces mots du grand Aimé Césaire : « Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.

Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.

Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde»[5](A. Césaire, Discours sur le colonialisme).

Par Tochehou Sosthène ADEOSSI


[1]https://dokumen.pub/le-livre-blanc-sur-la-torture-au-benin-1972-1990.html

[2]Adrien HOUNGBÉDJI, La liberté au cœur : le temps des semailles, Paris, l’Archipel 2019, p. 138-139.

[3] Célestine Zanou, Convictions, Cotonou- Bénin, Éditions SdD, 2021. p.76-77

[4] Programme Pluriannuel Eau et Assainissement phase II

[5]Tochéhou Sosthène ADEOSSI, Principes et valeurs pour une éducation démocratique des jeunes au Bénin,Paris,L’Harmattan : Justice& Démocratie, 2020, p-34-35.

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